Série MASC : une entrevue avec l’artiste Louis Mercier
Par Jessica Ruano | janvier 5, 2022
Cette entrevue a été originellement publiée sur Le Pressoir
L’habitant voyageur Louis Mercier est un ambassadeur de la musique traditionnelle canadienne-française. Sa famille originaire de Maniwaki lui a transmis ses traditions tout au long de son enfance, lui inculquant les fondements des danses carrées ainsi que des percussions et de la musique traditionnelles. Avec verve et entrain, Louis nous parle du passé ainsi que de la façon dont ces traditions vivent encore aujourd’hui et comment elles marqueront notre avenir.
Dans votre entrevue vidéo pour MASC, vous mentionnez qu’il est important pour vous de transmettre aux jeunes les traditions de notre passé qui tombent de plus en plus dans l’oubli. Pourquoi ce facteur est-il important pour vous et comment pensez-vous que cela influence les participants à vos ateliers, dans leur vie de tous les jours?
Louis Mercier : Je pense qu’ils comprennent un peu plus pourquoi, nous, les francophones, sommes différents des anglophones. Tout le monde est différent, mais nous avons tous un passé. Le passé nous aide à comprendre ce qu’on devient aujourd’hui; autrement dit ça nous permet de mieux comprendre notre identité. Le plus que tu comprends ce qui s’est passé dans l’histoire, le plus de plaisir tu peux tirer de cette langue et culture. En même temps, c’est de cette façon qu’on apprend des autres cultures. Les voyageurs étaient francophones au début, mais après il y a eu des anglophones. Les bûcherons aussi étaient majoritairement francophones, mais ensuite sont venus les bûcherons anglais. Ils n’ont pas les mêmes chansons, mais les histoires de ces chansons se rejoignent parce que tout le monde vivait dans la misère dans ce temps-là.
Avec la collaboration de MASC, vous avez produit deux vidéos sur demande en anglais ainsi qu’en français. Pouvez-vous percevoir les différences de la dualité des langues lors de vos représentations? Et, comment les Anglo-canadiens perçoivent-ils les traditions franco-canadiennes?
Louis Mercier : Oui, je les vois très, très bien. En Ontario, quand je fais des présentations dans des écoles d’immersion, ce n’est pas reçu négativement, mais comme je suis « pépé », ils sont surpris d’avoir autant de plaisir en français. Je vois vraiment la différence. Quand je vais dans une école francophone, ils sont déjà vendus à ce que je me perds. Les anglophones, c’est comme si après deux minutes de spectacle, je retiens leur attention. Je vois la différence. Les anglophones sont vraiment à l’écoute, ils embarquent et ils sont fous raides. Ils sont vraiment le fun. Les deux expériences sont amusantes, mais avec les anglophones, on dirait qu’au départ ils hésitent. Par contre, comme je suis dynamique, ils embarquent et partent en voyage avec moi. Ils deviennent très réceptifs. Je dois parler plus lentement et ça me demande plus d’efforts, mais ça en vaut la peine.
Vous faites de la musique avec des os, une planche à laver, des cuillères et des peignes, notamment. Qu’aimez-vous dans les objets qui sont à la fois pratiques et musicaux?
Louis Mercier : J’aime beaucoup faire de la musique. Comme je joue des percussions, on peut faire du bruit et créer du rythme avec n’importe quoi qui nous entoure. C’est le fun de voir que dans le passé, comme ils avaient des planches à laver, ils s’en servaient pour faire de la musique parce qu’ils n’avaient pas d’argent pour s’acheter des instruments de musique. Pour les cuillères, il n’y avait pas de fourchettes avant, donc ils cognaient sur le bord de la table avec les cuillères. Il y avait aussi des peignes et des scies égoïnes. On essaie de faire du bruit ou du son avec tout ce qui nous entoure. Je veux leur montrer tout ce qu’ils pourraient utiliser. Moi, j’utilise surtout les cuillères et les os un petit peu, mais je n’utilise pas les autres objets souvent parce que je ne me trouve pas assez habile. Cela dit, certains ateliers ont exigé beaucoup la planche à laver.
En tant que membre de MASC, que gagnez-vous à proposer vos ateliers dans les écoles et dans la communauté? Comment le travail avec les élèves a-t-il inspiré votre pratique générale?
Louis Mercier : Ce que je gagne, c’est d’avoir du plaisir avec les gens. Ça me rend heureux quand un jeune vient me voir après un spectacle, par exemple, lorsqu’il ramasse un morceau d’écorce de bouleau que j’ai laissé tomber et qu’il me demande s’il peut l’avoir. Ça veut dire que cela a été signifiant pour lui; le fait que je suis passé dans sa vie. Ça le rend heureux et ça lui donne un ancrage par rapport au futur. C’est avoir du fun et en apprendre beaucoup. Moi, j’aime ça passionnément. J’en suis fou raide! J’aime m’amuser et voir les yeux pétillants des jeunes, les questions qu’ils posent et leur dynamisme. Ils m’inspirent beaucoup tout autant que les personnes âgées. En fin de compte, ce sont les spectateurs en général qui m’inspirent. Quand j’offre des spectacles, je le fais souvent à deux niveaux. Les jeunes comprennent donc une notion et les adultes en comprennent une autre. Je travaille beaucoup pour trouver des choses qui intéressent les adultes ainsi que les plus jeunes. C’est bien beau que ça intéresse les jeunes, mais si les adultes ne sont pas intéressés, ce n’est pas le fun pour ceux et celles qui y assistent. Je m’efforce pour que ça soit bien adapté pour tout le monde. J’ai souvent de l’humour à deux niveaux et même à trois niveaux parfois.
Pourquoi pensez-vous qu’il est important pour notre communauté locale d’avoir accès à des artistes professionnels?
Louis Mercier : Ce que je trouve important, c’est que parfois on se renferme sur ce qu’on connaît et on fait ce qu’on connaît. On va voir des gens qu’on connaît. On se restreint à écouter un seul style musical. On se retrouve et on se complète là-dedans, mais ça ne nous donne pas d’ouverture sur le monde. En invitant toutes sortes d’artistes au sein des écoles, on dirait que ça nous ouvre les yeux. Je trouve ça bien important. Avoir des professionnels qui viennent dans les écoles, c’est très bien aussi et MASC favorise ça. C’est un beau cadeau qu’on fait à la communauté.