Série MASC : une entrevue avec Pier Rodier, directeur artistique de Vox Théâtre
Par Jessica Ruano | janvier 5, 2022
Cette entrevue a été originellement publiée sur Le Pressoir
Depuis plus de 40 ans, Vox Théâtre est un vaste terrain de jeu pour les jeunes publics. Les histoires adoptent une forme théâtrale unique, avec des voix chantant des mots et des sons pour exprimer des idées et des émotions. Le jeu des comédiens, la musique, les décors et les objets-marionnettes animent des histoires et des personnages qui frappent l’imaginaire. Dans cette entrevue de la série MASC, nous parlons avec Pier Rodier, le directeur artistique de Vox Théâtre, afin d’en savoir plus sur sa démarche, sa pratique artistique et sa relation avec le public.
La pandémie nous a poussés à adapter notre façon de créer et de concevoir le théâtre. Lorsque les choses reviendront à la normale (quoi que cela signifie!), auras-tu hâte de présenter du théâtre comme tu le faisais avant la pandémie, ou bien est-ce que l’année dernière a inspiré l’adoption d’une nouvelle approche?
Pier Rodier : Depuis la fondation de VOX, nous avons dû affronter toutes sortes de réalités à différentes époques, avec leur lot de défis; toutefois, à chaque époque, les artistes associés à la compagnie ont toujours su faire preuve de résilience et de créativité. Ils et elles ont foncé, car notre priorité c’est toujours d’être à la hauteur des défis. Bien évidemment, les défis apportés par la pandémie sont particulièrement cruels, avec les contraintes sanitaires qui empêchent la rencontre entre spectateurs et artistes de la scène. Mais nous nous sommes adaptés; nous utilisons les outils à notre disposition pour continuer à raconter des histoires, à partager nos connaissances. Cette période nous a permis de découvrir des programmes de captation visuelle, de montage, de webinaires qui vont nous aider à joindre plus de gens à l’avenir, des gens qui vivent loin de notre centre de diffusion LA NOUVELLE SCÈNE GILLES DESJARDINS, ou des gens qui ne peuvent pas se retrouver dans un lieu public pour des raisons de santé. Nous continuerons d’utiliser les outils en ligne pour les rencontres avant et après les spectacles afin d’élargir nos initiatives de médiation culturelle, et partager nos connaissances en art dramatique par le biais de stages et d’ateliers virtuels.
Tu proposes des ateliers sur le clown, les masques et les marionnettes : autant de façons d’apporter un sens du fantastique à l’espace théâtral. Qu’est-ce que tu aimes le plus dans le fait de présenter ces activités aux élèves?
Pier Rodier : Les enfants et les préadolescents cherchent constamment leur identité, une étape importante dans le développement sain de toute personne. C’est aussi dans la nature humaine de se transformer, de transposer son vécu dans une œuvre, de se raconter pour partager ses opinions, ses observations sur des enjeux préoccupants. L’utilisation d’autres formes d’expression comme l’art de la marionnette, le théâtre d’objets, le masque et le clown permet au jeune participant de se livrer plus librement, car ce n’est pas lui que l’on regarde, mais la forme d’expression qu’il utilise et qui est la source même de la performance et du partage. Après les ateliers, j’ai souvent constaté que les plus timides du groupe avaient pu partager une facette de leur personnalité que leurs camarades ne connaissaient pas. En ce sens, c’est très libérateur et combien valorisant de voir un enfant ou un préadolescent s’affirmer devant ses pairs.
Dans la description de ta compagnie, tu parles de créer du théâtre pour des spectateurs qui n’ont que 18 mois. Que gardes-tu à l’esprit lorsque tu crées des productions pour différentes tranches d’âge?
Pier Rodier : Ce sont d’abord les autrices et les auteurs qui se posent cette question. Quels sont les thèmes, les récits, les manières de raconter pour les jeunes à différents âges? C’est ainsi que les dramaturges en arrivent à une première version d’un texte. Suivent ensuite les commentaires de leurs collègues, le travail pendant les laboratoires d’exploration et les lectures publiques où l’on reçoit des commentaires des spectateurs qui ont l’âge du public cible. Ensuite, les textes sont revus à la lumière de ce travail et de cette matière. Chaque production trouve ses codes, ses mécanismes, son rythme en salle de répétition et s’ajuste avec les représentations. À VOX, nous sommes choyés, car nous travaillons régulièrement avec les jeunes publics grâce à nos stages et nos ateliers. Nous sommes à l’écoute de leur vécu et de leurs réalités, de leur appréciation de l’esthétique que nous leur proposons afin de l’actualiser. Régulièrement, dans le cadre des activités d’éducation artistique, nous nous servons des thèmes des prochaines productions auprès des jeunes, afin d’évaluer leurs connaissances et leurs opinions sur les thématiques que nous souhaitons explorer. Le théâtre est un art vivant basé sur le partage; il prend corps et esprit à chaque représentation, à chaque rencontre entre le public et ses artistes.
Chaque groupe d’âge a ses codes, mais ce ne sont pas tous les spectateurs qui ont la même culture théâtrale. Notre mission, pour bien rassembler, est de respecter le rythme du texte afin que le récit en ressorte clairement et que tous les spectateurs y trouvent un divertissement agréable et intelligent.
En tant que membre de MASC, que gagnez-vous à proposer vos ateliers dans les écoles et dans la communauté? De manière générale, comment le travail avec les élèves a-t-il inspiré votre pratique?
Pier Rodier : La rencontre avec les jeunes publics est l’essence même de ma pratique et un souci constant pour moi en tant que directeur artistique. Je veux accompagner les jeunes dans les grands enjeux qu’ils vivent. Parfois, nos spectacles deviennent un théâtre-miroir qui valide chez les jeunes leurs émotions, leurs inquiétudes, leur compassion et leurs préoccupations collectives. Parfois, nous leur proposons des spectacles où ils doivent s’investir, participer au fil conducteur de l’histoire en faisant preuve d’imagination et en suggérant des idées. Certaines des créations de la compagnie proposent des thèmes actuels (transidentité, santé mentale, hypersensibilité, entre autres) toujours présentés au moyen de formes d’expression inventives, de poésie et d’un grand humanisme. Vivre des moments d’art vivant ensemble, être témoin d’un moment unique, c’est tellement important, je crois que c’est un rituel depuis le début des temps…
Pourquoi pensez-vous qu’il est important pour notre communauté locale d’avoir accès à des artistes professionnels?
Pier Rodier : Les artistes professionnels sont essentiels à toute société. Ils ont une mission et une vocation, soit celles d’observer la vie dans nos territoires et dans les recoins de l’humanité, la vie dans ce qu’elle a de beau et de moins beau! Par la rigueur de ses fines observations, l’artiste invite tout le monde à se poser des questions afin d’améliorer le bien-être individuel et collectif. L’artiste nous brasse, nous séduit, nous inspire à nous dépasser sans cesse. Toujours, il nous convie à une prise de conscience. Je crois que tant l’artiste local que l’artiste nomade apportent leur lot d’expertises qui enrichissent toute expérience culturelle. L’être humain a des besoins essentiels pour survivre : l’eau fraîche, le pain, les connaissances… et les artistes, qui sont là, il me semble, pour envisager tous les possibles.